TEXTES SELECTIONNES
- WATSON MENE LE JEU - Concours de l'Escarboucle Bleue 2009 -
Une enquête inédite
de Sherlock Holmes. 10ème finaliste.
Lien : http://pagesperso-orange.fr/escarboucle-bleue/cleb/Escarboucle%20Bleue.htm
http://escarboucle-bleue.pagesperso-orange.fr/cleb/Concours-CLEB-resultats.pdf
WATSON MENE LE JEU
- Je ne voudrais pas vous importuner mais je connais votre renommée et j’ai pensé que vous seul pourriez élucider les faits très étranges qui se produisent en ce moment dans ma maison.
La jeune femme qui venait de prononcer ces mots entra dans le salon. Bien que le haut de son corps fût menu, elle avait des hanches proéminentes que sa longue robe cintrée à la taille amplifiait encore. Cette anatomie particulière lui donnait une démarche chaloupée qui semblait impressionner Holmes. La jeune femme nous regardait fixement. Sa silhouette imposante contrastait étrangement avec la grâce de ses gestes et la beauté de son regard frangé de longs cils. Elle sortit une épingle à cheveux de sa poche et ajusta une mèche rebelle sur son épais chignon.
Sherlock Holmes avança un fauteuil devant la jeune femme.
-
Asseyez-vous, je vous en prie.
-
Je vis avec plusieurs domestiques dans cette grande maison, en pleine campagne, depuis ma naissance, commença-t-elle. Il y a quinze jours, dans la nuit, nous avons entendu des sons très étranges comme des vibrations tonitruantes qui semblaient provenir du grenier. Malgré nos recherches, nous n’avons pu localiser ces bruits et comprendre ce mystère. Ceux-ci se sont répétés plusieurs fois depuis. J’ai préféré donner congé à mes employés qui ne se sont d’ailleurs pas fait prier pour partir. Quant à moi, je me suis réfugiée chez une cousine, en ville. Voici les clefs et l’adresse de ma maison. Accepteriez-vous de vous y rendre, Monsieur Holmes ? Je vous en serais très reconnaissante.
Holmes, visiblement perplexe, n’avait pas détaché son regard de la jeune femme. A ma grande surprise, il ne lui posa aucune question.
- Si je peux vous rendre ce service, Mademoiselle, dit-il en prenant le morceau de papier et le trousseau de clefs. Ce sera avec grand plaisir.
La jeune femme se leva et Holmes la reconduisit jusqu'à la porte.
Quand il revint, je m’étonnai.
- Enfin, mon ami, vous n’avez demandé aucune information à cette personne.
- Watson, cette jeune femme ment. Il est certain qu’elle souhaite que nous visitions sa maison mais je l’ai bien observée. Ses yeux et ses gestes la trahissent. Je ne crois pas du tout à son histoire.
- Mais alors, il est peut-être dangereux de se rendre là-bas. Si c’était un piège….
- Cette affaire m’intrigue, Watson. Je la prends. Attrapez votre pardessus, nous avons une heure de route.
Holmes venait de s’asseoir dans la voiture. J’admirais son attitude enthousiaste dès qu’il prenait la situation en mains et je m’en voulais un peu de n’avoir pu dissimuler mes craintes.
Dix heures. Nous étions devant la maison. Elle avait émergé du vert tendre de la campagne. Un rayon de soleil éclairait son toit pointu. Depuis notre départ, Holmes, les yeux à demi fermés et les extrémités des doigts joints, n’avait cessé de réfléchir. Nous descendîmes de la voiture. Mon ami fit le tour de la propriété puis il me rejoignit devant la porte d’entrée.
- Ouvrez, Watson ! Ce n’est qu’une maison, ironisa-t-il.
Peu rassuré, je tournai la clef. La porte s’ouvrit sur une salle immense et vide.
- Etonnant ! Étonnant ! répéta Holmes, en arpentant la pièce. Avez-vous remarqué cette deuxième porte exactement parallèle à la première que nous venons de franchir.
Il désigna l’endroit avec son index.
- Venez !
Je le suivis. Il ouvrit la seconde porte.
- Comme je le pensais. Il s’agit d’une deuxième entrée qui donne… sur… le… cimetière !
Holmes tout à coup perplexe me toucha l’épaule.
- Il nous reste l’étage. Suivez-moi Watson !
Au sommet des escaliers, je m’attendais à découvrir un lieu de vie mais lorsque mon ami ouvrit la porte sur l’unique pièce de l’étage, nous n’y vîmes aucun meuble et aucun bruit suspect n’attira notre attention. Vraisemblablement, ce local était aménagé pour y prendre des bains de soleil.
- La température dépasse 30°C, constata Holmes.
Nous redescendîmes au rez-de-chaussée. Assurément, mon ami cherchait quelque chose.
- Voilà ! s’écria-t-il ! Regardez, cette ouverture dans le plancher.
Holmes n’eut pas de peine à soulever une trappe dissimulée dans les lames de bois qui s’ouvrit sur le sous-sol de la maison. Malgré la faible clarté des lampes, nous entrevîmes un escalier qui aboutissait dans un boyau étroit que je dus traverser malgré mes appréhensions. Puis nous découvrîmes un dédale de couloirs et de pièces : une grande salle à nouveau et d’autres plus petites. Il y régnait une bonne température, entre 22 et 30°C. Cette maison totalement vide de meuble, propre mais rustique et ce sous-sol étrangement conçu m’effrayaient un peu. J’observai Holmes. A genoux, il examina le sol puis il se releva pour inspecter soigneusement les murs. L’inactivité lui avait beaucoup pesé ces derniers temps et cette affaire semblait lui avoir donné une nouvelle énergie. Ce détective, agile et enthousiaste qui s’agitait devant moi, était totalement différent du personnage bohème et triste de Baker Street. Ses yeux brillaient. Avec son index, il traçait des lignes sur la paume de sa main gauche. Je le sentais prêt à éclaircir le mystère. Qu’allait-il résulter de ses raisonnements analytiques ?
- Que supposez-vous, Holmes, lui dis-je ?
- Watson, je vais vous surprendre… Avez-vous remarqué que le sous-sol de cette maison est construit avec des matériaux naturels, un mélange de boue, de bois et même de feuillages agglomérés. Il semble avoir été creusé à même la terre. Les couloirs ressemblent à des galeries qui permettent d’accéder à des salles communes, des chambres ou des pièces un peu plus froides et obscures. Cette construction n’est pas une réalisation humaine Watson, même s’il existe une certaine analogie entre cette habitation et les nôtres.
- Comment cela, mon ami.
Holmes poursuivit :
- D’après mes investigations dans le sous-sol, les premières pièces que nous avons visitées ont été conçues comme des greniers. J’ai relevé quelques traces de nourriture et des odeurs caractéristiques. La grande pièce au-dessous ressemble à une sorte de salle d’hibernation…
J’interrompis Holmes :
- D’hibernation, dîtes-vous ?
- D’hibernation, Watson. Je vais vous expliquer… Quant aux deux autres pièces plus petites, poursuivit-il ce sont des pouponnières, une crèche et une couveuse peut-être : ce qui explique la température très élevée.
- Une crèche, une couveuse, Holmes ? Mais…
- Watson, il s'agit d’une structure collective dans laquelle vivait, il y a encore peu de temps, une société d’individus très organisés dont le mode de fonctionnement diffère du nôtre. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, nous nous trouvons actuellement dans une fourmilière, une fourmilière construite à l’échelle humaine certes, mais dont l’architecture a été totalement respectée. Enfant, j’ai beaucoup observé les fourmis. La complexité de leur construction et leur organisation m’ont toujours fasciné. Aussi, je puis vous affirmer que cette habitation est la réplique exacte d’une fourmilière, toute proportion gardée, bien entendu.
J’étais autant consterné par la puissance d’analyse de mon compagnon que par ses déductions. Toutefois, je m’étonnai :
- Pourquoi construire une fourmilière géante ? Dans quel but ? J’avoue ne pas comprendre.
- Rassurez-vous, Watson, moi non plus. Mes observations ne me permettent pas encore de répondre à votre question.
Je savais que mon ami craignait toute défaillance de sa part et son embarras me contraria.
- J’ai une impression très étrange, poursuivit-il d’une voix dépitée, comme si cette histoire, ce décor étaient irréels. Je me sens entraîné dans une affaire que je ne maîtrise pas. Je cherche une explication rationnelle mais je me heurte à de l’extraordinaire ou de l’insaisissable…
Holmes réfléchit un instant.
- En tout cas, si mes déductions sont exactes, il nous reste une dernière pièce à visiter. Venez Watson !
Je suivis mon ami qui se dirigeait au fond du couloir.
- Voilà ! La chambre royale !
Holmes ouvrit la porte. L’endroit était sombre mais nous entrevîmes une forme allongée au fond de la pièce. La «chose» étendue sur le sol était vivante. Elle avait un corps, une tête et des pattes griffues. J’en comptais trois paires. Nous entendîmes sa respiration puissante entrecoupée de petits bruits ronflants. La «chose» ressemblait à une fourmi géante. Elle leva la tête et nous fixa étrangement. Je la vis soulever légèrement ses pattes tentaculaires. Holmes, immobile comme une statue, me fit signe de ne plus avancer.
- Watson, chuchota-t-il, je crois comprendre ce qu’il se passe. Je n’ai pas le temps de vous en parler mais je peux d’ores et déjà vous affirmer que vous êtes le seul à détenir les clefs de ce mystère. Reculez très lentement. Quand vous serez près de la sortie, courez le plus vite que vous pourrez. Ce monstre royal ne nous veut pas du bien. A tout de suite mon ami.
Terrorisé, je m’exécutai doucement. Que voulait dire Holmes ? Je ne compris pas le sens de ses propos à mon sujet. Je le vis franchir la porte mais je n’eus pas le temps de le rejoindre. Soucieux de me soustraire au regard à facettes de la fourmi, je marchai à reculons mais mes pas hésitants et la peur indicible qui m’étreignait me donnaient des sueurs froides. Je sentis mes jambes se dérober et je trébuchai. Ma tête tournait. Saisi d’effroi, incapable de faire un geste, j’entendis les craquements du sol lorsque la reine des fourmis s’approcha lentement de moi. Son corps semblait se balancer tantôt à droite, tantôt à gauche. Son ombre m’enveloppa quand elle se pencha sur moi. Etais-je en train de perdre la raison ? Le monstre avait un visage et je crus reconnaître celui de la jeune femme qui nous avait rendu visite à Baker Street. Son air hostile, sa respiration bruyante et le claquement de ses mâchoires au–dessus de ma tête me terrifièrent. J’étais perdu. J’eus cependant la force de hurler :
- Holmes ! Au secours Holmes !
- Watson !
J’ouvris les yeux. Mon ami, debout devant moi, les deux mains sur les hanches, me souriait.
- Watson, reprit-il, en pesant ses mots, vos digestions sont de plus en plus difficiles. Vos ronflements font trembler les murs et vous vous réveillez en hurlant mon nom. Vous avez fait un cauchemar. Mais que lisiez-vous donc ?
Holmes se baissa pour ramasser le livre qui venait de glisser de mon fauteuil et dans un hochement de tête, il lut : « Les fourmis, par Ernest André.».
-
Une nouvelle passion, peut-être, Watson ! ajouta-t-il avec un petit sourire malicieux, la myrmécologie !
FIN